Les choses bougent au sein des agences et c'est tant mieux, parce qu'elles le font tous les jours !

2017 aura été une année de rupture, non seulement pour la politique (cf Brexit, élection de D. Trump et d'E. Macron), mais aussi pour la communauté des agences de communication confrontée à une guerre de tranchées avec les Gafa, les plateformes automatiques de média planning & buying (cf programmatique, real time buying, retargeting, ...), tout en étant prise en tenailles entre une offre de services en voie "d'uberisation" (cf plateformes de free-lances en planning stratégique, gestion de projet, création, réalisation et production,..) et une offre conseil à forte valeur ajoutée de transformation stratégique et technologique (cf Accenture, Mc Kinsey, BCG, Cap Gemini,...), et une concurrence croissante et désordonnée sur la conception et la production de contenus (cf agences médias, régies, groupes de presse, maisons de production,...), qui ont pour principale conséquences deux effets particulièrement difficiles à contourner: (1) le cantonnement croissant de l'agence dans la position d'un fournisseur de services en voie de banalisation vendus aux enchères lors de compétions "pas toujours maîtrisables",  (2)  la tarification de plus en plus standardisée tirée vers une baisse croissante des prix sous la pression des services achat d'annonceurs dont certains "n'ont peur de rien" quand il s'agit d'acheter à certaines agences" la corde avec laquelle elles vont aller se pendre !"...

Faudrait être fous pour laisser les annonceurs dépenser moins !

Plusieurs mesures devraient pouvoir mobiliser les agences autour d'un combat non seulement pour leur dignité(en sommes nous déjà là ?) et leur survie, mais aussi pour une saine et légitime émulation  entre annonceurs et marques:(1) sensibiliser la DGCCRF aux abus générés par certaines mises en concurrence d'agences: vente à perte, manque de transparence, pratiques déloyales, liens de dépendance, etc... !(2) publication et revue critique par un observatoire professionnel dans la presse spécialisée  des conditions - bonnes et mauvaises pratiques - dans lesquelles les compétitions ont eu lieu !(3) imposer aux annonceurs des clauses décourageant le débauchage sans indemnité compensatoire des collaborateurs d'agence par leurs clients !(4) protéger systématiquement -  autant que possible - les concepts et idées proposées aux annonceurs et non pas achetées par eux, en les déposant à l'INPI  !(5) promouvoir progressivement non seulement une rémunération d'agence partiellement indexée sur des résultats (pour peu que l'agence ait une influence sur la stratégie de l'annonceur) ou sous forme de droits d'auteur, mais aussi - voire surtout - assortie d'une bonification liée à la création mesurable de survaleur immatérielle de la marque ou de l'entreprise cliente, générée par l'investissement y afférent  !

Parce que les agences le valent bien !

Après le double phénomène de structuration du marché des agences, d'abord la course à la consolidation des années 1990, puis la bipolarisation durant les années 2000 entre les cinq principales holdings de communication et la prolifération d'agences indépendantes, plus récentes, plus agiles, plus spécialisées, les années 2010 préfigurent Star Wars, dans lesquelles les agences doivent aussi bien lutter contre les Rappetout de "la bande à Gafa" (notamment Facebook et Google) et la queue de leur comète (cf prolifération des start-ups en voie de reproduction géométrique), que contre les Picsou du clan des "Big Four"  de l'audit taillant à grands coups de serpe dans les budgets de communication et les rémunérations des agence, ainsi que de la famiglia des "Big Seven" : les grands cabinets anglo-saxons de consulting en stratégie, management & organisatio,  s'appropriant à prix d'or les chantiers de transformation digitale des entreprises et des relations interactives  de celles-ci avec leurs parties-prenantes et audiences..Pourtant deux mesures pourraient permettre de mieux se protéger de cette hydre bicéphale dont les conséquences sont, d'une part, paradoxalement, la tendance à la monopolisation rampante de l'offre issue d'une uniformisation et raréfaction des biens et services distribués (trop de concurrence sauvage tue la concurrence), et d'autre part, sans surprise aucune, au formatage et à la standardisation des opinions, attitudes, comportements et usages de la part des consommateurs et clients, de plus en plus automatiquement gavés de propositions reproduisant leurs habitudes passées et les choix du plus grand nombre, vénérant le dieu de la banalisation: "In all others I trust" !
(1) Utiliser les forces considérables de persuasion et d'influence de l'industrie du conseil en communication auprès des Administrations, des corps constitués, des élus représentants de la Nation et ... du public, pour véroler les GAFA de l'intérieur: dénoncer massivement la concurrence anti-citoyenne et anti-concurrentielle de celles-ci, en étayant le combat des administrations fiscales visant à enfin faire payer aux Gafa les impôts sur leurs colossaux bénéfices "optimisés" dans les paradis fiscaux, pousser au démantèlement de ces entreprises monopolistiques, en les obligeant à scinder leurs activités générant des conflits d'intérêts et abus de position: séparer les activités de recherche sur le Web d'Alphabet (Google Search) des autres activités (cloud, Gmail, Google Maps, YouTube, Google Maps,...), dissocier les activités de régie publicitaire et de social média chez Facebook ! Les USA l'ont bien fait par le passé dans le pétrole (Standard Oil),  dans les télécommunications (ATT), et sans doute une fois D. Trump parti (démis ?), dans la banque !
(2) Développer l'industrialisation de la création publicitaire, comme l'industrie du luxe a su le faire (cf Louis Vuitton, Cardin, Dior, YSL,..) - voire l'industrie artistique (cf Jeff Koons, Andy Wahrol, Picasso, Salvador Dali,...). L'initiative d'Arthur Sadoun, nouveau président du Directoire du  groupe Publicis, de lancer l'appli "Marcel" automatisant la créativité partagée entre ses 80 000 salariés, est géniale en ce qu'elle prend les plateformes à leur propre jeu participatif, tout en amplifiant significativement la réponse créative face aux aux solutions algorithmiques génétiquement préconçues et répétitives !Une voie complémentaire consisterait pour les agences à enfin s'équiper significativement en professionnels et en méthodes de créativité assistée et provoquée, tels que certains instituts d'études qualitatives et practices de conseil en innovation produits & services - voire de prospective - savent générer et pratiquer ! Mieux communiquer, c'est d'abord concevoir des produits et services plus communicants !

Inventing to-morrow today !

C'est en fait tout le modèle économique de l'industrie du conseil en communication post-digitale qui reste à inventer, en exploitant les nombreuses expériences existantes pourtant déjà sur le marché.A la question "mais que pourront bien faire les agences conseils en communication, une fois que les consommateurs n'auront plus de désir, car gavés comme dans un élevage industriel en batterie de poulets, d'une mixure OGM (= "Objets Génériques Marketing") insipide "mais équilibrée" et ingérée par un distributeur automatique à heure fixe et dosée selon les saisons, le lieu et l'heure, ?", il est temps d'explorer de nouvelles voies, telles que le "lateral thinking" ou le "design thinking" nous encouragent à le tenter !Si Freud nous a enseigné que "le désir, c'est ce que l'autre désire", l'on pourrait aussi se rappeler de l'impasse que cette norme psycho-culturelle a imposé à notre société, en relisant Lacan: "l'amour, c'est donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas "...Il s'agirait donc - plus prosaïquement - pour les agences conseils de prendre le contre-pieds systématique du "marketing automatisé" , en proposant aux annonceurs et aux consommateurs d'explorer et partager de nouvelles aventures, de nouvelles expériences, au travers de produits et services plus personnalisés et proches, moins normés, plus inventifs, et donc moins habituels, moins fréquents et moins similaires ... mais par contre, procédant d'une même intention: vouloir contribuer à réenchanter notre Société en proposant de nouveaux modes de consommation ! Et là, une fois encore, il est probable que les ingénieurs R&D et les artistes contemporains pourront servir de défricheurs ...Si les bons vieux manuels de nos bonnes vielles grandes écoles  nous ont enseigné que "le marketing consiste à cultiver l'insatisfaction provoquant le réachat" (toujours plus, toujours recommencer), le post-marketing nous entrainera dans l'expérimentation des paradoxes, comme l'actuelle transformation de notre vie politique  " de gauche et de droite en même temps" l'illustre tellement bien !...C'est d'ailleurs pour celà, qu'une institution comme le Festival de Créativité de Cannes ("Les Lions") devrait s'attacher à plus distinguer les trios inséparables entreprise innovante / produit inventif / agence créative, que seulement récompenser à tout va les campagnes créatives ?!...

Henri-Christian Schroeder
SCHROEDER & ASSOCIÉS

publié le 06 Septembre 2017